Interview de Marie Renaudie, porteuse du projet COCCINELLE
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
« Je suis Marie Renaudie, maîtresse de conférences à Polytech Nantes et je mène mes aux microalgues. Ingénieure en agroalimentaire diplômée d’Oniris Nantes, j’ai réalisé une thèse sur la production de biohydrogène (IPHC, Université de Strasbourg) et travaillé en post-doctorat sur des sujets variés comme l’analyse de biofilm colmatant (LEMTA et LCPME, Université de Lorraine, et IFPEN) et la calcification des microalgues pour des applications en génie civil (GeM, Centrale Nantes). J’ai également occupé des postes d’ingénieure production et de chargée de développement de procédé pour la production de biomédicaments (Novartis, Affilogic).
Aujourd’hui, mes activités d’enseignement et de recherche sont centrées sur le développement de procédés de culture de micro-organismes, en réponse à des défis de société. »
Quelle est l’idée fondatrice de votre projet et comment est-elle née ?
« Notre projet repose sur l’idée d’utiliser les microalgues et les cyanobactéries pour capturer et stocker durablement le CO2, tout en valorisant les ressources produites dans des domaines variés. Ces organismes présentent des atouts uniques : une utilisation de l’énergie solaire renouvelable, une culture possible sans concurrence avec les terres agricoles et la capacité de produire des composés à haute valeur ajoutée.
Cependant, le stockage du carbone dans la biomasse organique est temporaire, car le CO2 est libéré lors de son utilisation. Nous avons donc orienté nos travaux vers les microorganismes photosynthétiques calcifiants, comme les coccolithophores et les cyanobactéries. Ces organismes peuvent biominéraliser le carbone en carbonates (fig 1), offrant une solution complémentaire à d’autres technologies de stockage à long terme dans des matériaux comme le béton. Ce processus ouvre également la voie à des applications innovantes dans le domaine des biomatériaux. La valorisation de la fraction organique est également envisageable.
Figure 1 : Images MEB de souches modèles (A) Emiliania huxleyi et ses coccolithes calcaires et (B) Synechococcus PCC8806 et cristaux globulaires de calcite (adapté de Liang et al., 2013 ; Skeffington et Scheffel, 2018)
L’idée de travailler avec le phytoplancton calcifiant s’est progressivement construite à partir de mon postdoctorat au GeM, où nous avons exploré l’utilisation de cyanobactéries pour protéger les structures en béton, en collaboration avec Benoit Hilloulin et Emmanuel Rozière. Mon intégration au GEPEA m’a permis de poursuivre cette étude et développer cette thématique de production et d’utilisation du phytoplancton calcifiant, à travers des stages et une thèse MESRI en cours sur une coccolithophore, en travaillant avec Pierre Albrand, Pascale Gillon et Guillaume Cogne. Ces travaux ont permis de poser les bases du projet COCCINELLE.
Le projet COCCINELLE a émergé naturellement à l’intersection de ces idées et travaux. Au travers de notre partenariat avec Céline Laroche et Jean-François Cornet de l’équipe GePEB (IP, Université Clermont Auvergne), renforcé par des collaborations passées fructueuses, nous aborderons également les défis physico-bio-chimiques complexes pour adapter ces procédés à un contexte industriel. L’interdisciplinarité forte du GEPEA nous permettra également de nous appuyer sur les compétences de nos collègues Estelle Couallier, concernant la séparation des fractions minérales et organiques, et Eric Leroy et Raphaël Poryles pour explorer une nouvelle voie de valorisation. »
Quels sont vos objectifs à long terme ?
« Les principaux défis scientifiques du projet COCCINELLE sont donc les suivants :
- Comprendre les mécanismes de développement de ces microorganismes spécifiques en étudiant leur métabolisme face aux paramètres de culture que sont la lumière, les nutriments et le CO2.
- Maximiser la précipitation de carbonate et la séquestration du CO2 sous forme minérale au niveau du photobioréacteur de laboratoire.
- Évaluer le potentiel de séquestration du carbone à l’échelle pilote et identifier des limitations à surmonter pour le passage à l’échelle.
- Stocker les biominéraux produits dans des matériaux cimentaires et évaluer l’impact sur les propriétés de la matrice cimentaire
- Explorer une piste de valorisation dans des matériaux fonctionnels.
A moyen terme, notre ambition est d’approfondir la compréhension des processus de biominéralisation chez les coccolithophores et les cyanobactéries, et d’intégrer ces connaissances pour une mise en œuvre dans un contexte industriel. Pour ce faire, nous projetons de développer un modèle afin d’évaluer les interactions complexes entre les phénomènes se produisant dans les phases gazeuse, liquide, solide et biotique.
Notre objectif est également de fournir des données quantitatives pour évaluer le potentiel de cette technologie en termes de biofixation du carbone, sous forme minérale et organique. Ces données seront utilisées pour de premières analyses de cycle de vie et technico-économiques du procédé. Une approche intégrée sera mise en œuvre pour produire, récolter et séparer la biomasse et les biominéraux à l’échelle pilote, sur la plateforme AlgoSolis. Cela permettra de fournir le matériel nécessaire pour explorer les possibilités de stockage long et de valorisation.
Les perspectives à plus long terme sont d’aborder les problématiques liées à l’utilisation de ressources réelles pour une montée en échelle, comme les effluents gazeux et liquides industriels ou les sources de calcium alternatives. L’objectif ultime est de mettre en œuvre le procédé à l’échelle pilote dans un contexte industriel.
Par ailleurs, au laboratoire, je souhaite continuer à explorer les nombreuses possibilités de valorisation du phytoplancton calcifiant. Nous travaillerons au cours du projet sur des espèces modèles, mais la diversité des biostructures minérales formées est vaste, et il est envisageable de fonctionnaliser les structures minérales produites. Aussi, l’intégration de la fonction de biominéralisation pour le développement de procédés de bioremédiation, d’amélioration de la durabilité des structures du génie civil, est une piste complémentaire. Ce champ de recherche reste largement inexploré et offre des perspectives fascinantes. »
Comment peut-on vous suivre ou contribuer à votre projet ?
« Nous avons une page dédiée au projet COCCINELLE : www.univ-nantes.fr/projet-coccinelle, où nous partagerons les principales avancées.
Vous pouvez également suivre nos actualités sur notre page LinkedIn: lien page
Nous sommes ouverts aux collaborations académiques et industrielles. Si vous êtes intéressés par une potentielle synergie, notamment autour de la valorisation des biominéraux ou des applications des microalgues calcifiantes, n’hésitez pas à nous contacter. »